Le thème, son traitement, ses racines par Vincent Vicario
Ce projet est né d’un rêve. Été 2009, je me réveille après ce court voyage en compagnie de deux femmes, une adulte et une enfant, à travers une route de campagne. Leur relation est unique, elles partagent un rituel connu d'elles seules. Mais au-delà de ce rituel partagé, c’est l’univers d'un enfant et de sa poésie qui est vécu à travers cette promenade. C’est l’ouverture de ses sens à la nature environnante, son ressenti et ses sensations face à une nature aussi fascinante que étrange. C’est aussi l’illustration de sa fuite mentale face à une étrangeté parfois encore plus forte : celle du monde adulte. Cela se cristallisant à l’image dans des éléments thématiques et stylistiques : le rapport au corps, à l'espace, à la nature et aux sons.
Ce que je nommerai le cinéma des sensations, celui qui abandonne parfois la narration pour développer une forme d’abstraction sensitive, a profondément marqué ma cinéphilie. J’ai notamment extrait de ce cinéma la figure du gros plan pour ce qu’il dit sur les personnages et leur relation à l’espace (physique et sonore), en allant jusqu’à une forme progressive d’accumulation, leur juxtaposition faisant alors naître une image implicite, invisible et symbolique, dont la signification n’est pas donnée d’avance. Cette approche, couplée à une attention particulière au montage, rejoint en certains points celle du cinéma russe des années 20, du Giallo italien et se retrouve aussi d’une certaine façon dans le cinéma de Cattet & Forzani, György Palfi, David Lynch, Lucile Hadzihalilovic, Mayan Deren, Miranda Pennell,…
Comme dans ces deux dernières références, le corps et sa maitrise ou son abandon, son ouverture à l’environnement ou sa fermeture dans une intériorité, traverse ce voyage sans paroles. J'ai tenu à donner corps à ces personnages tout en leur donnant un statut presque irréel, éthéré. La comédienne et marionnettiste Delphine Bardot rejoint dans sa pratique artistique ce questionnement, elle fut donc la personne idéale pour donner corps au personnage de la femme et a guidé le projet, via notre collaboration, vers un travail symbolique du « corps manipulé », comme contrepoint visuel à l'esprit libéré. Elle m'a, dès nos premiers échanges, parlé de la pièce "Enfant" de Boris Charmatz qui a indirectement inspiré nos recherches de mise en scène.
Les sons ensuite : ils sont au cœur de la mise en oeuvre de ce film, car ils reflètent notamment le parcours intérieur de l’enfant en même temps que la notion de Soundwalking développé par l’artiste sonore Hildegard Westerkamp mais ici poussée jusqu’à l’abstraction. La musique a aussi bercé rythme et imaginaire pour élaborer Simulacre : les ambiances de Boards Of Canada, de Sigur Ròs ou encore de Fever Ray. Le travail de création de Marc Namblard, audio-naturaliste et artiste sonore, m’a inspiré une possible matérialisation de ce rêve, et une collaboration s'est imposée comme une raison d’être de cette réalisation (voir sa note d’intention plus bas).
La nature est donc omniprésente, ses sons mais ses couleurs enveloppent le film. L'image est signée Olivier Ulrich, premier assistant au cinéma et chef opérateur sur de nombreux courts-métrages, clips, etc. Il s'est entouré d'une solide équipe technique, dont Sébastien Lane qui s'est chargé de capter durant le tournage de nombreux plans de la nature environnante.
Etant aussi, à travers ce film, attentif à une sensibilisation environnementale, le tournage s'est déroulé dans un ENS (espace naturel sensible, C.G. de Meurthe-et-Moselle), en respectant l'écosystème où se niche des espèces protégées, notamment le “criquet ensanglanté” (dont le simple nom évoque un imaginaire dont chacun se fera le lecteur).
Méthodologie de travail : une œuvre collaborative
Ce court-métrage, expérimental de par sa forme et sa mise en œuvre, est totalement auto-produit via l'association Les Yeux de l'Ouïe avec le soutien de partenaires et complété par un financement participatif. Ce choix résulte d'un profond désir de liberté, et le projet - voulu comme souple dans sa mise en oeuvre - s’adaptait par essence à ce type de production. La manière dont j'ai abordé le travail dans ces conditions est profondément marqué par un désir d'échange artistique. Le synopsis était rédigé sous une forme libre, elliptique et poétique. De là, en appui de nombreux échanges, j'ai souhaité laisser un maximum de latitude artistique à chaque intervenant. C'est au montage que j'ai cherché à conserver une unité et une cohérence dans cet ensemble de sensibilités et de lectures de ma proposition d'un univers.
Note d’intention sur la création sonore, par Marc Namblard
Je suis audio-naturaliste. Mon activité sonore principale consiste donc à capter des sons existants dans la nature, à les révéler, tout en ayant pleinement conscience que la pratique phonographique, par définition, ne peut jamais être une transcription fidèle du réel. La plupart du temps je ne cherche pas à occulter les sources sonores. Au contraire, même. Les enregistrements sont alors très peu modifiés, simplement nettoyés des scories ou des incidents qui pourraient contrarier leur valeur naturaliste ou esthétique. Ils peuvent également être accompagnés d’images (fixes) ou de récits qui viendraient appuyer, compléter un propos, un témoignage, rendre compte d’une expérience qui dépasse le cadre de l’écoute. C’est par exemple ce genre de travail que je partage sur mon site « promeneurs écoutant », sous la dénomination de « galets sonores », ou dans certaines de mes publications. Mais il m’arrive parfois de me lancer dans des projets dans lesquels je ressens la nécessité de m’éloigner un peu (mais jamais complètement) de ce rapport naturaliste aux sons. Il s’agit alors de travaux qui cherchent plutôt à rendre compte d’une expérience paysagère, à la fois sensorielle et intérieure. Lorsque je m’inscris dans une telle démarche, je n’hésite pas à réinterpréter mes enregistrements, à les modifier pour élargir ma palette de matériaux sonores. Mais plutôt que de proposer aux auditeurs de se livrer à une écoute réduite des sons, totalement et définitivement détachée de toute cause matérielle, je préfère naviguer entre les flots, les laisser percevoir certaines sources, spontanément, et à d’autres moments semer le doute, brouiller les pistes... dans le but (et l’espoir) de laisser encore un peu plus de place à l’imaginaire.
C’est exactement cette démarche que j’ai adoptée pour « Simulacre », avec tout de même une problématique supplémentaire : celle, intrinsèque au cinéma, du rapport entre sons et images.
Je n’ai pas eu besoin d’échanger longuement avec Vincent Vicario pour définir les lignes directrices de la création sonore du film et de son rapport à l’image. Nos attentes et nos désirs se sont rapidement croisés. Notre idée principale était bien, à tous les deux, de trouver des connexions entre nos deux écritures tout en veillant à ce que l’image laisse, par moments, surtout dans la deuxième partie du film, une existence quasi « visible » au son. Mon principal défi était de trouver, pour cette deuxième partie, une façon de mêler des sons (la plupart d’origine naturelle, modifiés ou non) de manière à produire une sorte de tissu sonore, globalement non figuratif, dégagée de toute fonction cognitive, qui aurait pour « mission » principale de suggérer une expérience d’écoute intérieure, et pour finalité de libérer, tant que possible, l’imaginaire du spectateur.
Notre difficulté centrale, au final, a consisté à trouver un équilibre juste entre les enregistrements synchronisés, les bruitages – participant intimement et discrètement à la présence des personnages à l’écran – et la création sonore non synchronisée, dissociée de la « couche visible » du récit, qui finit par prendre une place majeure dans la deuxième partie du film.
Site web de Marc Namblard : http://www.promeneursecoutant.fr